Ecolo mais pas trop, bienveillant à mi-temps, engagé pour tout et tenu à rien. Les entreprises qui affichent leurs valeurs éthiques ne sont souvent pas si exemplaires, avec en guise d’actions concrètes rien, si ce n’est de la poudre de perlimpinpin.
Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait (pas)
Purple-washing, social-washing, rainbow-washing, green-washing, happy-washing, french-washing… Face à la multiplication des appellations, on serait tenté de désespérer en reprenant la phrase de Kazantzaki : « Vous avez de la chance, vous les jeunes, vous arrivez à l’heure pour les soldes ». Car si les idées progressent, leurs corollaires, des impostures à peine masquées, ne sont pas en reste. Le washing, souvent traduit en français par « blanchiment », pourrait plus simplement être taxé d’arnaque. De l’esbroufe, de la poudre aux yeux, pour être trivial : de la frime, et c’est tout.
Stratégie de communication massive depuis les années 80, elle a pour objectif de s’acheter une conscience à peu de frais : c’est un logo passé en vert à la couture d’un jean, sans qu’on sache ce qui repose derrière, ou un drapeau arc-en-ciel affiché sur le compte Instagram de l’entreprise (sauf bien sûr dans les pays où l’homosexualité est condamnée).
Une démarche qui répond à une demande. Selon une étude menée par le cabinet Edelman en 2021, 58% des interrogés achèteront ou défendront des marques en fonction de leurs convictions et de leurs valeurs. Des critères qui seront aussi pris en compte, pour 60% d’entre eux, dans le choix de leur lieu de travail. Ça mérite bien un coup de peinture. Sauf que depuis quelque temps, le vernis craque, et aussi bien du côté des clients, qui se sentent dupés, que des salariés, qui peuvent y voir un manque de respect.
Le washing, ou l’art de communiquer la presque vérité
Revers de la médaille, la supercherie, si elle ne coûte pas cher à mettre en place, peut se révéler dévastatrice si elle est révélée. Ce qui est souvent le cas, les ficelles marketing étant la plupart du temps un peu grosses.
La première stratégie est celle du pur affichage. C’est le soutien (sans les dons…) à la lutte contre le cancer du sein en passant son logo en rose, ou le fait, pour la chaîne de fast-food la plus célèbre du monde, d’inverser son logo une fois par an pour que le « M » devienne le « W » de « Woman », sans apporter aucun autre apport à la cause des femmes. C’est du vent et ça se sent.
Une seconde stratégie consiste à se focaliser sur un point pour masquer la totalité d’un projet. C’est une spécialité du green-washing. Ainsi une marque d’eau minérale se targue de fabriquer des bouteilles recyclées, alors que cela ne concerne que 20% du plastique. Les autres éléments du bilan carbone, de la production à la distribution, ne sont ni pris en compte ni mentionnés. Dans un même état d’esprit, le French-washing sévit dans la mode, avec des produits conçus en France, mais produit dans des conditions inconnues à l’autre bout de la planète….
Enfin, il y a mensonge pur et dur, en mode « plus c’est gros plus ça passe », et les formulations étranges, à la fois vraies et fausses. C’est le cas notamment pour une marque précurseur de l’hybride, qui nous ferait presque croire que rouler dans leur véhicule « propre » est meilleur pour la nature que de faire le même trajet à pied ou à vélo…
Le « Happy-washing », des solutions aux problèmes que l’on n’a pas
Si mentir aux clients ne suffit pas, il est aussi possible de se mentir à soi-même, c’est-à-dire, pour une entreprise, à ses salariés. L’objectif est de faire venir des talents, ou de les maintenir en poste, avec des promesses, aussi bien sur les conditions de travail à venir que sur le sens de leur production. Se battre chaque jour pour une cause à laquelle on croit, et apprendre, finalement, que tout n’était que du vent : une bonne raison de démissionner. Et même de communiquer afin de dissuader les potentiels candidats souhaitant risquant de tomber dans le panneau.
Le principe, pour s’acheter à peu de frais une crédibilité, est de détourner l’attention en mettant le doigt sur ce qui va plutôt que sur ce qui ne va pas. De grandes entreprises, souvent dans le domaine des nouvelles technologies, se targuent ainsi de prendre soin du bien-être de leurs salariés en installant un toboggan en guise d’escalier dans l’entrée, des flippers à côté des machines à café, et des baignoires remplies de cubes en mousse.
Mais cela permet-il d’affirmer que les salariés sont « happy » ? Où sont les augmentations, les crèches d’entreprise, les sièges ergonomiques, les horaires adaptés aux jeunes parents ? Quel salarié, au moment de son entretien individuel de fin d’année, a expliqué à son manager que « tout se passe bien au bureau, mais quand même, avec une baignoire de cubes en mousse, ce serait mieux ? » Le résultat, en général, ne se fait pas attendre : on quitte l’entreprise, et on rejoint Instagram, TikTok ou Facebook pour dire ce qu’on en pense… Une mauvaise publicité que toute entreprise préférerait éviter (un siège de bureau de qualité coûte moins cher qu’une piscine à balles en plus).
Heureusement, il est possible de se rendre compte de la réalité grâce à des certifications réelles RSE délivrées par l’Etat ou des organismes indépendants (normes ISO, label LUCIE,…). L’ADEME (agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) a publié un guide anti-green-washing et la loi PACTE a renforcé les sanctions contre les campagnes mensongères : l’amende peut aujourd’hui s’élever à 80% du prix de production de la publicité. En parallèle, l’ARPP (Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité) veille à dénoncer les impostures. Toujours plus crédible que de se fier à Tanguy, qui aime sa boîte comme le dit son t-shirt, et vous certifie que la Direction est vraiment plus à l’écoute maintenant qu’on fête les anniversaires.
Action et vérité, la seule façon de progresser
Pour ne pas tomber dans le panneau du « washing », il s’agit pour l’entreprise, c’est tout simple mais il fallait y penser, de faire preuve d’honnêteté en ne prenant pas les gens pour des imbéciles. Être commerçant n’empêche pas d’être vertueux, et ce n’est pas une honte. Si la mission de l’entreprise est noble et que ses actions sont en adéquation avec les valeurs et la réalité , ce n’est pas la peine de s’excuser d’être qui l’on est. Et il vaut mieux parfois, au risque de se trouver ridicule, ne pas en faire trop : ce n’est pas grave de vendre des yaourts, mais de là à déclarer qu’on le fait afin de résoudre le problème de la faim dans le monde…
L’idée n’est pas de passer du “washing” au “bashing” mais la communication se doit d’être précise, juste et en adéquation avec la réalité et les objectifs : quand on utilise du plastique recyclé pour fabriquer les lacets, on ne dit pas qu’on est en train de changer la face du monde. En interne, mettre en place des conditions sociales agréables aux salariés, c’est avant tout répondre à leurs demandes, s’intéresser et contribuer à leur état de bien-être physique, mental et social, les écouter, remettre de l’humain dans les relations, modifier les structures organisationnelles pour impliquer et redonner du sens, avec les limites qu’imposent les impératifs de l’entreprise.
Enfin, chacun doit aussi savoir jouer son rôle en faisant preuve d’esprit critique : le pouvoir ne repose pas entièrement dans les mains des dirigeants ! Lorsqu’une lettre vous annonçant que vous avez gagné un million d’euros atterrit dans votre boîte aux lettres, vous avez (légitimement) un doute. Quand une entreprise de haute technologie vous explique que son but est de lutter contre le gaspillage mais refuse de changer la batterie de votre téléphone et vous encourage à acheter le modèle suivant, vous n’êtes pas obligé de vous faire berner. De la même façon, si votre entreprise vous explique que la politique RSE et le traitement des salariés a beaucoup changé parce qu’on ne prend plus les mêmes gobelets : c’est non ! Il faut définir des revendications claires, assumées, et les tenir, quitte à se mouiller.
Car il ne faut pas oublier que le washing est un jeu qui se joue à deux : « ils ont des yeux mais ils ne voient pas » dit la Bible, « les promesses n’engagent que ceux qui y croient » ajoute Jacques Chirac. Pour faire tomber les menteurs, il suffit de les confronter à leur mensonge avec des réponses fortes, dont la plus simple reste la sanction financière, la désertion, l’abandon de poste, le refus de passer à la caisse. Parce que si un pays esclavagiste qui prétend qu’un stade de 80.000 places climatisé dans le désert ce n’est pas grave, c’est clairement du washing de cerveau, aller y jouer la coupe du monde avec des maillots arborant un logo peace & love en guise de protestation, c’est exactement la même chose.